Le maka Heuse de Pepinster


Auteur : Georges Heuse


Un MAKA ou MARTINET est formé d'un marteau pouvant peser entre 100 et 400 kg., il pivote autour d'un axe et est soulevé par une roue à cames qui est en général en prise directe avec la roue hydraulique. La longueur du manche varie entre 2 et 4 mètres. Il peut frapper entre 30 et 60 coups à la minute suivant le type de MAKA. Un marteau lourd et lent est réservé à la formation de brâmes (cinglage). Un marteau léger et plus rapide est destiné à la fabrication d'outils, de diverses bandes de fer, notamment le fer platiné pour les canons de fusil (platinage).


L'histoire du MAKA de Pepinster commence le 9 novembre 1738

Son constructeur, Jean Ernest HEUSSE est le fils de Jean Ernest de Drolenval et d'Elisabeth TROUPEU, il naquit le 30 juillet 1700 à Soiron. Il est issu d'une famille de métallurgistes, ses aïeuls exploitaient les usines de Goffontaine aux 16ème et 17ème siècles.

Après son mariage avec Jeanne Catherine ANGENOT, fille de Pierre et de Marie Isabelle DELVAUX, le 4 septembre 1732 à Soiron, il quitta Drolenval pour s'installer probablement chez son beau-père à Pepinster, au lieu-dit « AU MOUSSET » situé en Principauté de Liège.
Il profita probablement de l'expérience acquise par ses cousins Leonard et Bertrand HEUSE, propriétaires des MAKAS de Goffontaine et de Nessonvaux, pour construire son usine.

Demande du coup d'eau

Le 6 août 1739, la cour de justice de Theux ratifie un acte passé le 9 novembre 1738 par devant le notaire LE DOUX, en présence des témoins Antoine MAINDROZ et Jean TASKIN, par lequel Jean Ernest HEUSSE reçoit le coup d'eau près du crucifix et de la folerie à draps du Sieur Alexandre MALHERBE, amodiateur de son Altesse au marquisat de Franchimont, à condition de payer audit amodiateur le florin d'or du Rhin de cens dû à la table épiscopale de sadite altesse pour les ans de 1733 à 1738. Item pour les frais des déminements , 6 florins brabant et 8 patars et pour autres frais de ladite folerie 9 florins et 15 patars, qu'il s'est obligé par cette de payer d'an en an sous peine d'amende. Ainsi fait et passé à Theux en la maison de résidence dudit Sieur MALHERBE, bourgmestre régent dudit ban de Theux.

Achat du terrain

Il construisit son usine à côté du jardin de la foulerie de son beau-père, Pierre ANGENOT.
L'acte d'achat est passé devant le notaire Jean Philippe POUHAU le 16 mars 1739... Le Sieur Walrand MALMESURE a vendu, cédé et transporté au Sieur Jean Ernest HEUSSE 5 verges de la prairie qu'il a et possède à Pépinster appelée la terre « es fond » joindant d'enhaut au jardin de la foulerie, d'embas à Lambert de Villers, devant au by et derrière au bois. A charge d'y construire bâtiment ou forge en un an. Ladite vendition et transport desdites 5 verges au moyen d'une somme de 38 florins brabant. Ainsi fait et passé à Pepinster à la foulerie dans la maison de résidence du Sieur Pierre ANGENAU (beau-père de Jean Ernest).

La construction d'une usine mue par deux roues hydrauliques demande des capitaux qu'il n'a peut-être pas bien évalués. Il contracta un emprunt et demanda à sa mère de renoncer à ses droits sur sa part d'héritage :
Soiron le 24 juillet 1739, la cour de justice ratifie un acte passé le 21 mai 1739 par devant le notaire Jean Philippe POUHAU, par lequel l'honnête Elisabeth TROUPEU veuve de feu le Sieur Jean Ernest HEUSSE renonce et résilie aux humiers et vicaries qu'elle a et peut avoir à la parte entière compétante au Sieur Jean Ernest HEUSSE, son fils, aux maisons et biens dont elle est par la morte et trépas dudit Sieur Jean Ernest son mari, usufruitiaire. Fait et passé à Drolenvaux dans la maison de résidence du Sieur Théodore TROUPEU, échevin dudit lieu.
Soiron le 29 mai 1739, la cour de justice ratifie un acte passé le 23 mai 1739 par devant le notaire François MANGAY, par lequel Jen Ernest HEUSSE garantit sur tous ses biens: usine, bâtiments, by, coup d'eau près du crucifix qu'il possède à Pepinster, item la quatrième part qu'il a dans les maisons et biens délaissés par feu Jean Ernest, son père; un emprunt de 1200 florins brabant qu'il contracte auprès des religieuses conceptionnistes de Verviers, contre une rente annuelle de 60 florins brabant qu'il devra payer au couvent des dites religieuses.

Description du maka

La convention du 13 décembre 1749 entre Nicolas de PRESSEUX et Jean Ernest HEUSSE, nous permet de préciser le type de MAKA et d'en définir son usage commercial.
Par un acte passé devant le notaire François POUHAU le 13 décembre 1749 et ratifié le 10 octobre 1750 à 10 heures du matin devant la cour de justice de Theux, Nicolas de PRESSEUX et Jean Ernest HEUSSE ont déclaré d'avoir fait entre eux la convention suivante... Nicolas de PRESSEUX paiera un ouvrier pour travailler avec Jean Ernest au MAKA de celui-ci pour y battre du fer de toutes espèces, il fournira le charbon et le fer nécessaires à mesure du débit. L'entretien des allettes des deux roues du MAKA, des tenailles, des cames, des pannes, des enclumes et marteaux sera à charge commune. L'entretien dudit MAKA et de tous ses autres hernaz et appendices sera à la charge dudit HEUSSE...

La fabrication de fers de toutes espèces à l'aide de plusieurs marteaux signifie que nous sommes en présence de martinets à actions rapides et non d'un MAKA à lourd marteau pour le cinglage des loupes de fer. Le fait, qu'une partie de la famille HEUSE soit spécialisée depuis longtemps dans la fabrication des fers à platine, peut conforter cette thèse.

Comme tous les maîtres d'usine, Jean Ernest HEUSE passa par tous les aléas du marché, mais, il ne parviendra jamais à rembourser son emprunt du 23 mai 1739.

Dans les premières années, la production du MAKA semblait normale, il put se permettre en 1742 d'acheter à son beau-frère Jean Jacques ANGENOT, une pièce de terre appelée « Aux champs de Cornesse » pour 50 florins brabant. Et le 4 janvier 1744 par devant le notaire Jean Louis DEPRESSEUX, Jean Ernest HEUSSE acheta une maison à Pepinster, une pièce de fond à Hodister de 600 verges petites et une prairie de 14 verges petites pour 800 florins brabant.

1746 fut probablement l'année charnière de sa vie, son épouse Jeanne Catherine ANGENOT meurt le 1 février, elle devait atteindre sa 38ème année le 7 mai.
Il se retrouve seul pour gérer son maka et pour élever ses cinq enfants qui sont âgés respectivement de 12, 10, 7, 4 et 2 ans.


Il a été probablement débordé par la tâche qu'il dut accomplir, mais il trouva un soutien provisoire par la convention du 13 décembre 1749 (voir, description du MAKA).
Des difficultés importantes survinrent en 1759 :
Le 12 mars 1759, devant la cour de justice de Theux, Jean Ernest HEUSSE reconnaît devoir une somme de 106 florins brabant, 14 sous à Jean JEUNECHAMPS, maître de forges, à raison de marchandises lui vendues et livrées à crédit. Ledit HEUSSE n'ayant point d'argent à la main pour payer ladite somme garantit une rente de 5 florins brabant 5 patars sur ses biens meubles et immeubles. Fait et passé par devant le notaire DELREE dans une place du MAKA dudit HEUSSE.

Rejoint par son fils Jean Pierre il continua à gérer son MAKA jusqu'en 1766, l'année de ses 66 ans, âge respectable pour cette époque compte tenu du métier qu'il exerçait. En été la chaleur dans le maka devient insupportable, et, quand la roue hydraulique s'ébranle entrainant les gros marteaux, le bruit est infernal. Avec deux marteaux agissant alternativement, la cadence peut atteindre 120 coups sur les enclumes par minute.

Il a épuisé toutes ses réserves, il ne parviendra plus à payer ses dettes, et le 11 décembre 1766 commence les procédures de bannissement.

Bannissement par comand de tiers jours

Monsieur Jean Jacques JEUNECHAMPS contre Jean Ernest et Jean Pierre HEUSSE.
Le 11 décembre 1766 témoigna à nous mayeur et échevins de la cour de justice de Theux André COLLETTE sergent ayant reçu 5 sous pour son exploit d'avoir allinstance de Monsieur Jean Jacques JEUNECHAMPS et de notre authorité comandé à Jean Ernest et Jean Pierre HEUSSE son fils que dans tiers jours privilégiés lors prochain qui sont expirés ils eussent à payer cinq florins six et demi sous brabant de rente escheu pour tous ans dont ils ne devront de quittance sous peine d'être bannis dire et proposer. En outre et la même, témoigna Louis BARLAZ nostre huissier d'avoir allinstance et d'authorité que dessus HEUSSE et fils crié bannis partant que point nons obéis à nostre comand susdit.
Bannissement le 5 mai 1767, le capitaine de BEAUREGARD contre Jean Ernest HEUSSE.
Bannissement le 3 mars 1768, Simon le PERSONNE contre Jean Ernest HEUSSE et son fils Jean Pierre demeurant ensemble.
Bannissement le 18 avril 1768, Jean LACROIX contre Jean Ernest HEUSSE en qualité de père et mambour de Jean Pierre. Louis BARLAZ, sergent qui le témoigna pour le contraindre à lui remettre 160 livres de fer qu'il a mis en main dudit fils pour en faire des bandes de roues, sinon voir contre lui procéder à bannissement dire et proposer.
Bannissement le 18 avril 1768, Jean Philippe et Jean Baptiste de LIMBOURG contre Jean Ernest, pour faute de payement de 61 florins brabant, 16 sous et 2 liards à raison de fers lui vendus et livrés à crédit.

Saisine

Le 19 août 1769, à la demande des religieuses conceptionistes de Verviers, la cour de justice de Theux entama la procédure de saisie du MAKA de Jean Ernest HEUSSE, pour faute de payement de 60 florins brabant de rente échu postérieurement au 31 mars 1767 (emprunt du 23 mai 1739).
Petit comand
S'ensuit la série des petits « comands de loi privilégié », le 23 et 26 août puis le 20 septembre 1769 à Jean Ernest HEUSSE en vertu de saisine contre lui encourue, le 20, 23 et 25 octobre 1769 à Jean Pierre fils de Jean Ernest HEUSSE, locataire ou détenteur des biens d'icelui.
Grand comand et possession
Le 9 décembre 1769, sommes nous la cour et justice de Theux, présents mayeur en ce cas FRAIPONT notre substitué greffier, échevins DAYENEUX et BONIVER ont comparu au village de Pepinster à la requête conduite du Sieur prélocuteur DETROZ faisant partie pour la Dame abbesse et religieuses conceptionistes de Verviers au devant du maqua, maison, usine, appendices et appartenances désaisis de la part des dames susdites contre Jean Ernest HEUSSE et son fils à effet de livrer la possession auxdites dames et ayant trouvé la porte ouverte et l'ayant trouvé évacué nous en avons livré la vraie réelle et actuelle possession par attouchement de la cheminée.
A la même ledit DETROZ nous à requis de faire la visite du susdit maqua, avons vu et remarqué qu'il n'y a ni marteaux ni enclumes ni autres outils. Dans ledit maqua il y a une muraille le long du canal qui mérite réparation, une porte et une fenêtre de bois qui donnent sur le grand canal de nulle valeur de même que les trois vitres de glace toutes brisées.


Le MAKA n'existe plus, il aura vécu 30 ans, son constructeur Jean Ernest HEUSSE lui survivra jusqu'au 9 décembre 1778, il décéda à Theux à l'âge de 78 ans.

Vente du terrain et des bâtiments

Theux le 27 avril 1779, les Dames abbesse et religieuses conceptionistes de Verviers désirent rendre (vendre en ce cas) héritablement sous forme de discussion au plus offrant et dernier enchérisseur un MAKA, maison, usine et dépendances situés au village de Pepinster tel que lesdites dames en portent vesture à titre de la saisine et de ses exécutions qu'elles ont fait faire de notre autorité contre Jean Ernest HEUSSE et consorts pour faute de payement de 60 florins brabant. Après les publications d'usage aux messes paroissiales de Theux, la vente eut lieu le 27 avril 1779 à 11 heures du matin dans la salle « scabinale » des religieuses.
Les terrains et bâtiments furent acquis par Jean François ORBAN.

Epilogue

Le 31 janvier 1785, devant moi Simon COLLETTE, notaire, ont comparu le Sieur Jean François ORBAN du village de Fays d'une part et Jean François ANGENOT maître foulon demeurant à la folerie M. SIMONIS en la Basse Crotte d'autre part. Les parties comparantes ont déclaré de construire une folerie sur un terrain et maisonnages appartenant audit ORBAN situés à Pepinster à la même place où il y a présentement un MAKA et forge.   Haut de page

< Retour vers le deuxième tableau